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Témoignages

Premières sélections

Munie de questions sur le moment précis de la fausse couche, mais aussi sur les sentiments et les relations avec les proches, j’ai interviewé Juliette, Doris, Noémie, Marion, Christine, Romane* et Nathalie*. Le sujet est très intime. C’est pourquoi j’ai laissé le choix aux femmes de parler ou d’écrire. Les styles de texte sont différents. Les témoignages audios sont transcrits dans le respect de la personne, dans un langage familier. Il est important de ne pas déformer les propos témoignés. Les textes complets se trouvent sur le site du projet.

« J’ai été chez le gynécologue, il m’a tout de suite amenée à l’hôpital, à la Clinique Garcia. J’étais là-bas bien installée dans mon lit, je ne sentais plus rien. Je me suis dit : « Ben c’est bon ! Ça ne bouge pas donc ça ne va pas venir. » Je me rappellerai toujours, à midi, ils sont arrivés avec le plateau du dîner. J’étais contente, un bon dîner qui arrivait. Je ne sentais plus rien, ça bouge plus donc ça tient ! Total, j’avais pas commencé à manger que le docteur arrive et il m’annonce que le foetus était mort. Après je n’ai pas pu dîner bien sûr. L’après-midi, ils ont dû me faire un curetage. Il avait déjà 4 mois. »
Témoignage Juliette, audio

« À peu près en 72, je me suis dit : « Bon maintenant, je veux de nouveau essayer ! ». Le docteur m’a dit : « Bon vous savez ce que vous avez à faire, c’est vous mettre au lit. » Parce que j’en avais perdu un et après l’autre aussi. J’ai dû me coucher quoi. »
Témoignage Juliette, audio

« Dur. La matinée, j’étais assise dans mon lit, je ne sentais rien du tout. J’étais contente. Je me suis dit : « ce n’est pas ça, c’est bon y a rien qui se passe. » Total, il vient m’annoncer ça. Je me rappelle, c’était une sacrée désillusion. Merde alors. »
Interview Juliette, audio

« Mauvaise nouvelle, très frustrante, le foetus est mort, mon repas du dimanche sur mes genoux c'est du poison? Rien pu manger. »
Témoignage Juliette, écrit

« C'est cela, mon ventre est devenu un cimetière? »
Témoignage Juliette, écrit

« Quand j'ai perdu Alexandre, à plus de 6 mois, c'est un rêve qui s'écroulait! »
Témoignage Juliette, écrit

« Mais sinon je revenais toujours les mains vides. J’étais souvent dans une chambre avec une autre. On était deux par chambre. Elle, elle accouchait, moi je repartais sans rien. Ce n’est pas drôle. »
Témoignage Juliette, audio

« Assise dans mon salon, j’ai eu soudain mal au bas-ventre. J’ai commencé à saigner. Je suis allée aux toilettes. Quand j’ai perdu mon embryon dans la cuvette des WC, je ne savais plus quoi faire. J’ai été tentée de le ramasser pour l’enterrer. Mon mari m’en a dissuadée. Il m’a serrée dans ses bras. Il y avait sur la table de la cuisine un petit bouquet de pâquerettes que ma fille de cinq ans m’avait apporté la veille. Mon mari l’a pris et l’a posé délicatement au fond de la cuvette. On a dit au revoir. La cuvette s’est emplie d’eau et le courant l’a emporté. J’ai dit à ma fille qu’il avait rejoint la mer désormais. »
Témoignage de Pascale (Clerget S, Ch.6, Sous-ch.4, paragraphe 5)

« Quand j’ai eu ma fausse couche, j’ai été déçue bien sûr. Mais j’ai pensé à ma grand-mère qui m’avait confié son vécu en la matière : «C’est comme avec les tulipes, m’avait-elle dit, quand les oignons ne prennent pas, je replante.»
Témoignage d’Églantine (Clerget S, Ch.2, Sous-ch.5, paragraphe 1)

« J’ai perdu mon bébé à quatre mois de grossesse. Pendant deux ou trois semaines, je cherchais toujours les frottements de ses pieds sur mon ventre. »
Témoignage d’Élisabeth (Clerget S, Ch.3, Sous-ch.2, paragraphe 8)

« Le bébé était mort depuis trois semaines avant le curetage. Le plus dur fut de me dire que j’avais la mort en moi au lieu de la vie. »
Témoignage de Justine (Clerget S, Ch.3, Sous-ch.11, paragraphe 1)

« Chaque semaine qui passe, on imagine que son corps se transforme, que les seins gonflent, que le ventre s’arrondit, mais ce n’est pas son propre corps qui se modifie ; c’est celui des femmes enceintes que l’on rencontre. On se dit : “Là, j’aurais des nausées. J’aurais du mal à marcher. Je le sentirais bouger. Tiens, il me donnerait un coup de pied. Il serait né cette semaine. »
Témoignage de Laurence (Clerget S, Ch.3, Sous-ch.12, paragraphe 13)

« Au bout de quatre mois de grossesse, j’ai eu soudain une envie impérieuse d’uriner. Je me suis rendue aux toilettes. J’ai alors senti quelque chose glisser entre mes jambes, c’était mon bébé. Il pendait au bout du cordon ombilical. Je n’ai pu me retenir de le toucher. Je me souviendrais pour toujours de cette sensation. Mon bébé était déjà tout constitué. C’était un garçon, avec sa tête, son torse miniature et ses tout petits membres. Après, je ne me rappelle plus de rien. Je crois que je suis devenue folle. Pendant des jours, j’ai vécu comme si j’étais en dehors de moi, tel un robot, dévitalisée. J’étais déconnectée de la vie autour de moi. J’aurais pu tout aussi bien mourir, tant je n’avais plus l’impression d’exister. »
Témoignage de Margaret (Clerget S, Ch.3, Sous-ch.18, paragraphe 2)

« J’ai mis un an à me remettre. J’avais deux jumeaux qui sont morts in utero. Après le curetage, j’ai continué de saigner pendant un mois. Je n’ai eu aucun accompagnement psychologique. Aujourd’hui, je ne veux plus d’enfant. Je ne veux plus souffrir autant. »
Témoignage de Claire (Clerget S, Ch.4, Sous-ch.4, paragraphe 1)

« On m’a fait un curetage pour retirer le bébé que j’avais en moi. Son cœur s’est arrêté de battre quand j’étais à dix semaines de grossesse. Mes règles ne sont revenues qu’au bout de six mois. C’est comme si ma tête mettait mon corps de femme au silence. »
Témoignage de Vita (Clerget S, Ch.4, Sous-ch.4, paragraphe 5)

« Cette fausse couche fut pour moi comme un brouillon. Dans tout ce que j’ai entrepris au cours de ma vie, je n’ai jamais réussi du premier coup : mon bac, mon permis... Mon mari aussi : je l’ai connu après l’échec de mon premier mariage. À dire vrai, je m’attendais à rater cette grossesse. »
Témoignage de Lise (Clerget S, Ch.5, Sous-ch.3, paragraphe 10)

« C’était beaucoup de vide. »
Interview Doris, audio

« Quand j’ai été en contrôle chez lui, il avait tourné l’écran du monitoring contre moi pour me faire écouter le coeur. Lui pensait que c’était moi qui paniquait et que cela allait me réconforter. Et très vite, il n’a pas eu de paroles mais une gestuelle. Il m’a dit: «On va écouter le coeur! Y a pas de soucis, il ne faut pas vous inquiéter! » Et très vite quand il a vu et entendu qu’il n’y avait plus de coeur, il a tourné l’écran! Là, le voile est tombé. Je lui disait: «Il se passe quoi? Y a quoi? » Je voyais qu’il était affairé, qu’il regardait son écran. Là il y a eu un long moment, vraiment long moment avant qu’il éteigne son écran, qu’il éteigne le monitoring. Et il me dit: «Ah c’est votre corps qui le rejette. Le bébé est décédé.»
Interview Doris, audio

« Là, c’était assez dur. Tu sors du cabinet, t’es un peu effondrée. Tout le monde te regarde. Les réceptionnistes te regardent. C’est comme si tu pars à l’abattoir. »
Interview Doris, audio

« Pour le gynécologue c’était d’office: «Vous rentrez à l’hôpital ce soir. Demain on vous fait une narcose complète. Comme ça vous oubliez, vous n’avez pas de mauvais souvenirs! Vous voyez rien du tout.» Là, de sa part, en ayant son expérience, il aurait du demander. Avec le curetage, je ne pouvais pas le voir. Ils aspirent, tu ne peux pas voir l’enfant. Il aurait du me le montrer à l’écran ou avoir une autre gestuelle. Là, c’était vraiment le médical qui commençait. Toi, t’es là dedans. C’était comme s’il me mettait dans une machine à laver, à ce moment là. Toi, tu vas et lui il parait confiant à te montrer le coeur: «y a pas de soucis ça arrive, vous inquiétez pas». Et au moment où il tourne son écran et qu’il arrête, t’es «hop» dans la machine! Alors là il a commencé son processus «Vous rentrez à l’hôpital en fin d’après-midi, on vous fait cette narcose», vraiment comme un schéma, une préface qu’il te lit. T’es dans ce schéma-là. »
Interview Doris, audio

« Jusqu’à ce que Gérald vienne me chercher à l’hôpital, c’était dur. Tu ne sors pas de ta chambre parce que t’as la maternité et y a ces bébés, y a ces «pitchous». J’ai passé mon temps derrière la fenêtre et je me suis dit: «Bon ben Gérald va arriver, ça va aller. Je vais rentrer à la maison. Maintenant, je veux rentrer! Je vais aller chercher les enfants. Je veux rentrer quoi! »
Interview Doris, audio

« Ce moment à l’hôpital m’a paru long. Et à la maison, j’ai ressenti un vide. Un vide.
Interview Doris, audio

« Le curetage, c’est un arrachement. »
Interview Doris, audio

« Le choc que j’attends son coeur, que le médecin me prend comme si je m’inquiète pour rien et qui tourne l’écran et tout s’arrête. Là tu te dis vraiment: «Ben oui je me fais un film, ça va aller y a pas de soucis. C’est vrai, c’est peut-être pas grave.» J’ai souvent ce flash-là. Où il tourne l’écran et c’est fini. C’est comme si on te prend et on te met dans la machine. Et t’es là! Tout a tourné, tout a basculé! Tout part dans tous les sens! »
Interview Doris, audio

« Ce moment de bascule où quelques instants auparavant on se dit que le bébé vit peut-être encore et le moment de l’annonce où l’on n’a plus rien à faire. »
Interview Christine, écrit

« L’image d’une femme qui sentait deux coeurs battre en elle et qui tout d’un coup n’en sent plus qu’un. »
Interview Christine, écrit

« Je me souviens être dans le bain chez moi qui était plein de sang. »
Interview Noelia, écrit

« J’avais l’impression d’être comme dans un film, comme si ce n’était pas vrai. »
Interview Noémie, écrit

« Un vide. Je me suis sentie à l’extérieur de mon corps. T’es dans l’attente, t’accompagnes cette personne qui a cet enfant, mais d’une manière extérieure. Je me rappelle aussi que quand on m’a dit que c’était fini, il m’a fallu, je pense, deux semaines pour recommencer à boire de l’alcool. Mon beau-père me disait: «Mais tu prends l’apéro maintenant.» Mais je n’arrivais pas. Comme s’il fallait que je revienne dans ce corps, que c’était bon, que c’était en ordre. »
Interview Marion, audio

« Le moment d’attente c’est horrible, c’est vraiment affreux. Internet, ça a aussi ces mauvais côtés… Moi, j’ai été beaucoup voir. T’essayes de te rattacher qu’aux bons témoignages, mais quand tu vois les mauvais témoignages… Tu vois qu’ils te ressemblent quand même beaucoup. »
Interview Marion, audio

« Tu dis, mais : « Tout de suite! Faites-moi sortir ce truc! J’ai plus envie là, c’est bon. Je sais que c’est mort. Enlève-moi ce truc! » Vraiment un truc lourd à porter quand même, même si tu ne sentais rien. Comme si ça te bloquait en fait. Ta vie, elle est figée. Elle est figée, tu dois attendre, jusqu’à ce qu’on te « défige ». (rires) T’es sur stand-by et après d’un coup tu dois attendre qu’on te remette sur play pour qu’enfin ils puissent t’enlever ça et que tu puisses continuer ta vie! Parce que là, ta vie elle est… tu ne peux rien faire, tu vas aux toilettes t’as du sang, t’as tout le temps ce truc qui te rappelle, trop bouger pas non plus, se tenir plutôt tranquille. Donc ta vie, elle est vraiment sur pause, attend et après c’est bon tu peux continuer. »
Interview Nathalie* (prénom d'emprunt), audio

« Vu que je ne savais pas comment ça se passait pour faire ce curetage, j’avais été lire. Et là, ce qui m’était resté, c’était écrit qu’ils allaient comme gratter! Là, moi je voyais qu’ils allaient comme un peu à la chasse à l’or, enfin qu’ils grattaient, qu’ils creusaient dans la montagne pour arriver au trou (rires) pour sortir ce qu’il y avait dedans, ouais ce truc de grattage. Le mot gratter, j’ai trouvé assez hard. »
Interview Nathalie* (prénom d'emprunt), audio

« Je dirais que je me sentais désarmées, que je ne savais pas quoi faire et que je ne pouvais surtout rien contrôler. Comme perdue dans le désert. »
Interview Romane* (prénom d'emprunt), écrit

« J'espère juste que lorsque je serai enceinte cela n'hantera pas mes pensées. Toutes les images sont encore très présentes comme c'est assez récent. Mon ventre a pris environ 2 mois pour reprendre sa taille initiale, je pense parce que j'avais de la peine à accepter ce qui était arrivé. »
Interview Romane* (prénom d'emprunt), écrit

© Mona Baiutti, Bachelor Communication visuelle,
Haute école des arts de Berne, 2019.